Lettre ouverte d'un autodidacte
Pourquoi je fais ce que je fais
Québec, jeudi le 25 janvier 2001
D'abord, je veux apprendre; les diplômes ne m'intéressent que très vaguement.
Or la finalité explicite du système d'éducation en place est le diplôme. L'enseignement suit des lignes directrices scandées par un ministère technocravatisé, de sorte que leur finalité humaine nous échappe bien souvent, ou alors c'est qu'il n'est même plus question de l'être humain (avec ce qu'il implique en termes de conscience humaine) mais plutôt de la formation systématique d'unités de production unidimensionnelles.
Je ne nie pourtant pas que l'accès qui m'est "offert" (ai-je vraiment le choix au yeux de tous?) aux écoles est en mesure, même si cela ne leur est intrinsèque que par le nom du ministère qui les contrôle, de m'apporter un lot appréciable de connaissances.
Mon appréhension se situe au niveau de l'environnement que l'on rencontre en général en ces lieux scolaires. Plus précisément, de l'attitude générale. Du côté des étudiants, c'est une espèce de ligne droite qui ne vise qu'à "passer", une indifférence - voire un dégoût - quasi-générale face aux matières étudiées. L'intérêt de la connaissance, à dire vrai, est chose bien rare dans les collèges du Québec. Et du côté des enseignants, c'est une acceptation passive de l'attitude de leurs élèves. Il arrive trop souvent qu'un enseignant contourne la véritable compréhension pour concentrer ses efforts sur les seules exigences ministérielles de passage. Si la passion de la connaissance est contagieuse, je n'ai jamais été exposé à des risques sérieux d'infection. Il n'est pas aisé, lorsqu'on ne désire pas obtenir de diplôme, d'être des plus enthousiastes dans une telle atmosphère.
Voilà en gros la principale raison qui me fait décrocher, ou plutôt qui ne me fait pas accrocher. Mais, prise seule, elle ne constitue pas une justification valable de mon décrochage.
Car si la connaissance m'est aussi importante que je vous l'affirme, il serait peut-être plus raisonnable de ma part de "prendre sur moi" et de fréquenter, malgré qu'ils me soient fortement démoralisants, les établissement qui sont mis à ma disposition. Ne serait-ce pas de la paresse que laisse paraître cette abdication? Sans doute la paresse n'est pas étrangère à mon attitude perdante, et je fus même longtemps convaincu que tous mes échecs y étaient entièrement reliés.
Mais mon malaise se situe en fait un échelon de réflexion au-dessus de la précédente hypothèse. J'espère vous en exposer la justification le plus précisément possible.
Humains avant tout, nous recherchons tous naturellement, en tant que tel, à nous réaliser pleinement. Mais à cette volonté individuelle viennent s'opposer des restrictions d'ordre social, nécessaires à l'évolution collective. Étant donné que la seule existence est tout à fait dépendante de la société, l'humain doit accepter de faire des sacrifices en faveur du "bien-aller" de la collectivité.
Il serait donc de mon devoir de développer une "endurance" face à la passivité qui me déplais tant dans ce système scolaire. Cela me permettrait une intégration harmonieuse au schéma de fonctionnement de notre bienveillante civilisation.
Comme je viens de le dire, le sacrifice, optimalement, doit contre-balancer un besoin, une exigence sociale. Pourtant mon seul désaccord face aux fondements de cette exigence ne me permet pas de me réclamer libre d'en prendre ou non la charge.
Mais qu'en est-il si mon esprit critique m'indique que les exigences sociales en faveur desquelles je dois courber l'échine semblent issues d'une dogmatique archaïque qui, loin de se contenter d'être simplement inutile, conduit inévitablement à des résultats collectivement désastreux, dans la mesure où elle entraîne, par exemple, la dénaturation, l'aliénation à l'entreprise et au marché et la diminution du potentiel de l'être humain et de son intelligence?
Autrement dit, je juge que d'aller à une éducation qui m'écoeure ne correspond, en contre-partie, à aucun besoin social justifiable.
J'ai l'espoir d'aller acquérir la connaissance, la "compétence" et la réalisation de moi ailleurs que dans les collèges, et je ne vois pas dans cet objectif de difficulté incontournable. Et qui pourrait m'empêcher de mener à bien cette quête, de "réussir" et d'être "prospère"?
Qu'à cela ne tienne: s'il existe des mesures pour m'en empêcher ou pour me sanctionner, j'aurai toutes les raisons de m'insurger contre ce système.
José-Nicolas Binette
www.bargitophene.com