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Dernière mise à jour de cette page: 1er septembre 2000
© 2000 Nicolas Binette
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Du caillot social
Nicolas Binette10 mars 2000

La société est un ramassi puant d'abrutis névrosés et inutiles, d'individualistes incapables du moindre élan de conscience; un paquet de bêtes molles et belliqueuses, stériles. Des merdes qui vont et viennent sans se soucier de rien.

J'en étais à ces jolies réflexions quand tout à coup retentirent en mon âme les mots de Bertrand Russel, emplis d'une sagesse féconde — ces mots qui me disaient de penser en fonction des faits, plutôt que de penser en fonction de ce que je voudrais que les faits soient

Alors de mon occiput jaillit une hypothèse. Peut-être ce groupement d'humains que je qualifie de société n'en formerait — en fait, — pas une. Aussi conviendrait-il probablement mieux d'appeler ce système d'individus le Système. Cette seule convention nous présentera alors le sujet selon un point de vue déjà plus objectif, permettant de mieux comprendre l'attitude apparemment inconsciente des éléments du Système, attitude qui fait baigner celui-ci dans un état stagnant qui nous laissait aussitôt croire, il n'y a pas une minute de cela, en une profonde stupidité générale.

Or, pour que la conclusion dépeinte au premier paragraphe soit entièrement valide, il faut pouvoir affirmer que le-dit Système forme effectivement une société — c'est dire qu'il se modèle au fil des échanges des idées, de la progression consciente de celles-ci au travers des réseaux que forment les individus. Et qu'une société se modèle sous la forme abherrante que le Système arbore actuellement, de là nous vient l'idée de stupidité.

Bien sûr, les réseaux existent bel et bien. Mais peut-on affirmer avec assurance que les idées progressent en travers? Car si des idées s'échangent, il me paraît clair qu'elles ont du mal à se rendre loin. Il serait donc intéressant d'apprécier l'efficacité des échanges d'idées, car c'est là que se trouve, apparemment, la pierre angulaire du caillot social. Et c'est ce que je m'empresse d'ailleurs de faire.

Il me semble aussi évident qu'à vous, avant toute chose, que la circulation des idées implique la communication interpersonnelle, laquelle se présente à l'individu sous diverses formes d'interfaces vis-à-vis d'autres individus ou groupoïdes d'individus. Il s'agirait ici de tracer une ébauche des réseau (d'idées) ainsi obtenus, en prenant pour repère la position spéculative de l'Individu, en tant qu'élément du Système, par rapport aux idées qu'il (l'Individu) transfuse. Aussi cela sera la meilleure approche que je puisse choisir, du fait de mon faible taux d'internationalité. Je me baserai donc sur mes propres contacts avec le Système (plus ou moins québécois), incarnant ainsi plus ou moins l'Individu dont il est ici question.

On distingue d'abord l'environnement immédiat: généralement le foyer familial, les cercles d'amis intimes, ou autres formes de clique serrée à laquelle l'Individu adhère au cours de sa vie. Ces milieux agissent comme des supra-conducteurs d'idées: ils forment le noyau actif de l'émancipation idéologique personnelle; c'est là où la communication est directe et instantanée.

De là, les idées filtrent vers un second niveau, plus ou moins étendu selon l'individu - parfois inaccessible, même. Ce sont là les amis de nos amis. On y rencontre des gens, on y échange quelques idées à la dérobée et on en découvre de nouvelles. Mais le fait que le potentiel de communication y reste plutôt faible, de par la sporadicité de ces rencontres, est compensé par ceci: c'est souvent à ce niveau que se créent de nouveaux liens, permettant ainsi l'expansion du noyau dans lequel évolue l'Individu. J'appellerai, par un souçi de commodité, ce second niveau la périphérie.

Jusque là tout va bien. On observe une forme d'activité tout à fait digne de porter la mention "sociale"; le jus passe. Mais il faut rester sur ses gardes: cette brève définition n'indique pas l'état effectif de cette base de l'émancipation de l'idée dans le Système actuel. D'ailleurs, me prenant comme exemple, il n'y a pas toujours de quoi se réjouir. Et nous verrons pour le reste que les choses ne s'arrangent pas.

Car si les relations précédemment étudiées forment plusieurs micro-sociétés réelles, il n'est pas évident, comme nous le verrons, de trouver d'activité plus vaste susceptible d'assurer la dynamique sociale dans la totalité du Système. Même si on parvenait à impliquer une stratification, aussi intagible qu'elle me semble à notre époque, de diverses classes au sein de celui-ci, il serait douteux de considérer ces classes comme des sous-sociétés à part entière. Au-delà de cette micro-société, les manifestations idéologiques, s'il en est, s'amenuisent dangereusement pour laisser place à des activités d'ordre purement systémique. C'est là que je puise la nécessité de reconsidérer le terme "société" (ne serait-ce que le temps de cette étude), puisque la dynamique sociale, dont l'émancipation me semble désirable, subit directement la structure établie. À savoir où se situe la brisure entre activité sociale et activité systémique, je m'y attèle.

Ainsi, pour continuer notre récit, l'Individu se voit jouer des rôles systémiques, des fonctions qu'il assume, rarement de son plein gré, dans la structure du Système. Il travaille, entreprend des études. Sans toutefois être totalement déconnectés du noyau, ces environnements ne sont généralement guère propices aux effusions d'idées. Y sont prévilégiées celles qui sont en lien direct avec la fonction impliquée, la balance étant jugée innapropriée, voire nuisible au fonctionnement du Système. Et même s'il évolue dans un domaine parallèle à ses idéologies, l'Individu, à moins d'être complètement borné, se butera toujours à des restrictions. Certes, ce sont aussi des milieux propices à la construction de relations neuves, mais celles-ci sont souvent très brèves et superficielles, donc peu nutritives au sens où je l'entends — et je ne parle là que par expérience. Évidemment, l'éducation sert à transmettre des idées (je reviendrai là-dessus), rarement à les faire évoluer. De moins en moins même, du moins ici, au Québec, où l'éducation cède année après année la place à la formation spécialisée.

En gros, ici s'arrête l'inventaire des milieux de communication bidirectionnelle directe que connaît l'Individu. Nous avons pu regrouper ces interfaces en trois niveaux, nommément: le noyau, les relations de périphérie, puis les relations systémiques. Il est entendu que ces phénomènes peuvent s'étendre au-delà des secteurs définis — faire du sôcial par exemple! — mais j'aurais tendance à négliger ce dernier aspect, d'une part parce que ces extensions sortent rarement du cadre défini ci-haut. Lorsqu'on sort, le vendredi soir, c'est de préférence accompagnés d'amis, peut-être de collègues? D'autre part, si le vecteur d'idées se trouve amenuisé dans la plupart de ces circonstances — on lâche son fou —, il frôle bien souvent le point zéro lorsque l'individu s'y présente seul. D'ailleurs, s'il s'y partage plus d'une idée, c'en sont des fixes!

Notez que j'use ici d'un abondant esprit de généralisation en toute connaissance de cause. J'ai moi-même vécu un party rave (Natura III, à Inverness) où le potentiel de communication d'idées était, au matin, sujet à une formidable catalyse. Mais je n'ai jamais eu l'occasion de connaître d'équivalent lors de mes autres expériences de rave. Bien que la communication y prenne habituellement une fluidité particulière (à condition de s'y entendre parler), côté idées, c'est kaputt.

...À SUIVRE...