L'idée, si elle n'est pas commanditée par l'action, conduit à l'oubli. Alors, finançons l'idée: écrivons. Mais l'idée, écrite, assure-t-elle pour autant sa longévité? Il faudra, pour que l'exercice en vaille la peine, que quelqu'un la lise, et pour que ceci ne soit pas vain, que la lecture soit investie d'un acte.

Que l'idée ait du sens, cela est tout à fait accessoire à ce stade-ci. C'est le temps qui compte. On ne fait pas la révolution en l'espace de quelques millisecondes, au moment où on repose le journal, totalement dégoûté de l'hégémonie américaine, du vide juridique en matière de nourriture transgénique, de la vente à des firmes privées de droits exclusifs d'exploitation des banques génétiques publiques, de Staline, de la traite des blanches.

On commence à faire la révolution, en écrivant: révolution.

Ce qui compte, c'est le temps. Mais aussi l'espace. Car une révolution ne se fait pas seul. En fait, on fait bien peu de choses seul. On repose son journal, on regarde par la fenêtre pour entrevoir le temps qu'il fait, on se lave les dents, on finit son café et on repart faire sa journée, et on regarde ses souliers dans l'autobus, et on revient, et puis on se demande ce qu'on pourrait bien manger ce soir. Non. Car les idées, seules, s'oublient trop vite. Il faut les faire connaître, d'abord. Pour ne pas avoir le temps de les oublier. Car si on les partage, il y aura bien quelqu'un un jour pour se les redonner, ses idées. Et si tout le monde les as, les idées, alors peut-être elles auront plus de taille que quelques mots placés quelque part. Oui. Ce qui compte, ce sont les gens.

Mais encore. Il y a les idées, et parmi elles, les idées fixes, cathodiques, que tout le monde a sans vraiment y porter attention: des idées mortes-nées. Les idées, d'accord, ça doit vivre, ça doit voyager, d'accord... Mais plus encore: ça doit respirer. Alors, si je dois écrire, tu te dois de lire. Et si tu lis, je ferai de même avec ce que tu nous écriras.

Et le jour de la révolution, lorsque nous serons tous là, ce qui nous coulera dans le sang, ça s'appellera évolution.