|
Qu'est-ce au juste que la mondialisation? Le mot mondialisation, comme la plupart des mots qu'il entend sa télévision scander sans relâche, sonne creux dans la tête du québécois moyen. Paradoxalement, il n'y a pas plus prompt que ce même québécois moyen pour se réclamer une opinion éclairée sur tous les sujets dont il ignore l'essentiel avec brio. Il exprimera cette solide opinion avec un ferveur qui laisse rêveur: la mondialisation, le Sommet des Amériques, la ZLÉA, c'est de la merde, un point c'est tout. Enfants moyens de la patrie, unissons notre ignorance en ce jour libérateur, et sache l'âme cosmique pénétrer les alvéoles de notre jugement nouveau. (Vous me voyez là tout investi dans un effort inouï dont le but inavoué est d'élever d'une poussière la moyenne de prise de conscience politique d'un peuple entier.) Abordons le sujet sans préambuler davantage: le Sommet des Amériques se tiendra ici même à Capital National en avril 2001. Certes, la façon dont on s'assurera de l'ordre durant ces quelques jours relève de quelque chose de parallèle au fascisme, mais si on carbure un instant notre organe cogitant avec un minimum d'oxygène frais, on se rendra compte que cela est une question bien accessoire, du fait qu'elle est tout à fait - je l'affirme - extrinsèque à la raison d'être du dit sommet. Il est vrai que cet élément para-fasciste insère dans nos cervelles un doute légitime quand aux valeurs morales des organisateurs de ce congrès. Mais d'en faire un argument contre la séance d'un tel événement tient du sophisme, autant que de considérer cet événement comme un complot contre l'humanité tient de la débilité. À cette manie qui est la nôtre, patriotes, de catégoriser tous les protagonistes de quelconque conjoncture en deux clans, amis contre ennemis, je propose de substituer une conception historique toute nuancée. L'idée sous-jacente est de transformer la masse d'opposés inconvertibles que nous sommes, mes frères, en une structure dynamique capable d'une intégration consciente au sein du processus dans lequel le monde entier s'est engagé de façon incontournable. Et ce n'est, cette fois encore, pas une mince affaire. Mais cette méthode que j'emprunte à l'instant démontre un fait d'une signification fondamentale: c'est qu'il n'est pas nécessaire d'être de l'assemblée du Sommet des Amériques pour participer directement à la construction de cette mondialisation. D'ailleurs, comme pour la plupart d'entre nous (moyens que nous sommes) à l'heure actuelle, ma présence serait à n'en point douter des plus inutiles à ce congrès, pour la raison fort simple que j'ignore passablement tout ce dont il est y réellement question. Soyons honnêtes, tout de même. Une chose est certaine. C'est qu'il ne sera possible à quiconque d'avoir un apport bénéfique à la mondialisation si nous continuons à stagner dans cette ignorance putride qui nous caractérise si bien. Interrogations La mondialisation est-elle inévitable? nécessaire? Les gouvernements présents aux sommets sont-ils représentatifs des valeurs de leurs populations? Sinon, est-ce que la situation les oblige dialectiquement à défendre les valeurs qui sont celles de leurs populations? N'est-ce là qu'une illusion? On dit que la ZLÉA permettra le développement des pays sous-développés. On peut effectivement croire que la ZLÉA entraînera le développement des industries de ces pays, mais faut-il en conclure que les peuples concernés sont favorables à ce développement? Peut-on croire seulement que ce leur sera bénéfique, ou bien n'est-ce là qu'un moyen d'extraire du profit maximal? Il est vrai que, à l'échelle de l'humanité (au sens large), la mondialisation est synonyme d'organisation des possibilités humaines et techniques. Mais il faut être conscient des dangers que l'établissement de la mondialisation recèle... N'est-ce pas trop tôt? Devrait-on (oui) penser à inclure davantage la volonté des masses dans le processus de mondialisation, ce qui exige un temps de sensibilisation, de "conscientisation", lesquelles sont encore loin d'être tangibles? Et si la réponse est oui, comment freiner l'élan actuel? Par la mobilisation? Cela implique le regroupement, par propagande, de masses qui ne sont pas nécessairement conscientes des enjeux de la mondialisation, ou, inversement, des enjeux de la non-mondialisation... S'il faut attendre la conscience de masse avant de mondialiser, peut-on seulement espérer voir un jour une mondialisation véritable prendre forme? Est-elle vraiment nécessaire à l'émancipation du potentiel humain? (Je crois que oui, dans la mesure où l'humanité est pour moi une valeur en soi.) Est-on trop pressé? Est-ce que la mondialisation urge vraiment? La renier mène-t-elle inévitablement au crash? À la révolution armée? Il faudrait le savoir. |